Capables de voler à très basse altitude, les drones kamikazes iraniens sont difficiles à détecter. © AFP / Armée iranienne

Depuis trois semaines, l’armée russe multiplie les attaques de drones kamikazes de fabrication iranienne. Douze engins ont ainsi provoqué d’importants dégâts mercredi dans une ville militaire de la région de Kiev. Si l’efficacité de ces drones est limitée, leur utilisation offre à Moscou une alternative économique aux frappes de missiles et lui permet de maintenir la pression sur des villes éloignées du front.

Malgré ses difficultés sur les fronts Est et Sud, l’armée russe entend garder son pouvoir de nuisance en Ukraine. En témoigne ces dernières semaines l’utilisation massive de drones de fabrication iranienne pour frapper positions d’artilleries, dépôts de munitions ou infrastructures civiles.

Un essaim de douze drones a ainsi survolé, mercredi 5 octobre, Bila Tserkva, une ville de garnison située à environ 90 kilomètres au sud de Kiev, une première dans cette zone. Six ont été abattus par les forces ukrainiennes tandis l’autre moitié s’est écrasée sur plusieurs bâtiments, provoquant d’importants dégâts et faisant un blessé dans les rangs de l’armée.

Avant cela, ce sont des villes du sud, comme Odessa, qui ont été prises pour cibles par des drones kamikazes et autres engins volants capables de larguer des bombes. “Même si les Russes savent qu’ils ne prendront pas Odessa, ils veulent maintenir une pression psychologique et montrer que la guerre continue, y compris pour les populations civiles”, explique le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès des Nations Unies.

Les débris d’un drone de fabrication iranienne abattu par l’armée ukrainienne à Odessa, le 23 septembre 2022. © AFP / Armée ukrainienne

La présence sur le champ de bataille de ces bombes volantes de fabrication iranienne était attendue par Kiev et ses alliés : dès le mois de juillet, la Maison Blanche avait alerté sur la livraison par Téhéran de drones à la Russie. Selon l’Institute for the Study of War, un think tank américain, Moscou aurait notamment “lancé un satellite en orbite pour le compte de l’Iran” en échange de ces armes.

Malgré les dénégations iraniennes, l’Ukraine a décidé fin septembre de réduire sa représentation diplomatique à Téhéran en signe de protestation. De son côté, le Trésor américain a annoncé des sanctions contre quatre entreprises iraniennes d’armement.

Le Shahed 136, un drone à très longue portée

Jusqu’à présent, Moscou ne disposait pas de drones sur le champ de bataille ukrainien. L’industrie russe de la défense accumule les ratés dans ce domaine et les sanctions internationales pénalisent une filière incapable de fournir des engins de combat opérationnels.

Le Kremlin s’est donc tourné vers l’Iran pour importer et déployer en Ukraine ses Mohajer-6, appareils d’observation et d’attaque, mais surtout les Shahed 136, des drones kamikazes utilisés notamment par les rebelles houtis du Yémen pour endommager des installations pétrolières en Arabie saoudite.

D’une longueur de 3,5 mètres et d’une largeur de 2,5 mètres, le Shahed 136 est un drone bon marché et facile d’utilisation qui peut voler jusqu’à 180 km/h et revendique une portée de de 2 500 km. “Il atteint sa cible par coordonnées GPS entrées avant son décollage. Il évolue ensuite en autonomie, volant assez bas et atteignant une cible qui est nécessairement fixe”, précise Pierre Grasser, chercheur français associé au laboratoire Sirice, interrogé par l’AFP.

« Ils font beaucoup de bruit, comme une tronçonneuse ou un scooter » et leur efficacité est « très basse », estimait fin septembre Natalia Goumeniouk, porte-parole du commandement militaire ukrainien.

Cette fiabilité relative est toutefois compensée par une capacité à échapper à la surveillance des radars. “Étant rapide et volant à basse altitude, il est difficile de les détecter suffisamment tôt pour que la défense anti-aérienne puisse les détruire”, détaille le Général Trinquand. “Des brouilleurs de drones existent mais il faudrait pouvoir les répartir sur tout le théâtre ukrainien qui est très grand”, ajoute l’expert des questions de défense.

Fin septembre, Washington a annoncé l’envoi de douze systèmes Titan de brouillage électronique contre les engins volants autonomes, réputés particulièrement efficaces contre les Geran-2, l’appellation russe du Shahed 136.

Des stocks de missiles au plus bas

Présenté comme le concurrent du Bayraktar TB2 turc utilisé avec succès par l’armée ukrainienne, le Shahed 136 permet à la Russie de détruire à moindre frais des infrastructures logistiques éloignées du front comme des dépôts de munitions ou des nœuds ferroviaire, sans mettre en danger son aviation.

Selon les experts militaires, la Russie est devenue beaucoup plus prudente avec ses chasseurs bombardiers ces derniers mois en raison du déploiement en Ukraine de systèmes antiaériens de plus en plus perfectionnés.

L’utilisation de ces drones robustes permet aussi aux Russes de compenser une pénurie de missiles balistiques, au coût exorbitant – parfois plusieurs millions d’euros –, à l’image des missiles de type Kalibr, massivement utilisés au début de l’invasion de l’Ukraine.

“On a l’impression que leur stock de missiles de précision, pour reprendre l’expression employée par le président Poutine, est arrivé au bout.

Globalement, le nombre de matériels de haute technologie est très limité et leur fabrication est difficile car beaucoup de sous-ensembles viennent de l’Occident”, rappelle le général Trinquand.

Si l’apparition de drones iraniens dans le ciel ukrainien est un motif de préoccupation pour Kiev, elle est aussi le signe des difficultés de la Russie à maintenir l’effort de guerre après huit mois d’engagement. Surtout, ces nouvelles armes n’entament en rien la dynamique à l’œuvre sur les fronts Est et Sud où les Ukrainiens poursuivent une contre-offensive éclair qui semble avoir durablement changé la face de ce conflit.

Source : France 24