Dans un centre de traitement temporaire du choléra à l’hôpital du district de Bwaila, à Lilongwe, la capitale du Malawi, le 21 février 2023. 

Marion Péchayre, cheffe de mission de MSF, fait le point sur la situation de ce pays d’Afrique australe, le plus touché du continent, où près 1 600 personnes sont mortes.

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L’Afrique connaît une « augmentation exponentielle du nombre de cas de choléra », alertait le 9 février l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Exponentielle », l’adjectif a de quoi faire peur alors que dix pays africains renouent, à des degrés divers, avec une épidémie. Au cours du seul mois de janvier, le choléra « a déjà atteint plus de 30 % du nombre total de cas enregistrés sur l’ensemble de l’année 2022 » sur tout le continent, précise le bureau africain de l’OMS.

Si, à l’Ouest, seuls le Nigeria et le Cameroun sont pour l’instant touchés, le centre et l’est de l’Afrique souffrent davantage : la République démocratique du Congo (RDC), le Burundi, le Kenya, l’Ethiopie, la Somalie, le Mozambique, la Zambie, la Somalie et, surtout, le Malawi.

Le pays d’Afrique australe de 20 millions d’habitants comptabilise à lui seul, lundi 27 février, près de la moitié de la charge continentale avec 49 207 cas déclarés et 1 564 morts depuis mars 2022. Début décembre, le gouvernement avait qualifié l’épidémie d’« urgence de santé publique ».

Marion Pechayre, cheffe de mission au Malawi pour toutes les activités de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), explique les enjeux de la pire épidémie de choléra de l’histoire du pays dans un contexte de pénurie de vaccins.

Pouvez-vous faire le point sur la situation au Malawi ?

Marion Pechayre On a atteint un pic de presque 700 nouveaux cas par jour autour du 3 février. Depuis, l’épidémie décroît avec moins de 500 cas quotidiens. La tendance, constante, est à la baisse, mais on ignore encore si le pire est derrière nous. La situation reste d’autant plus fragile qu’il s’est remis à pleuvoir beaucoup. La saison des pluies, qui s’étend de novembre à avril, est un facteur favorisant la contamination. Et on est encore dans la saison des cyclones. Il faut donc rester très prudent.

MSF est présent depuis le début de la crise, rejointe début février par les équipes de l’OMS et l’ONG Save the Children. Peut-on dire que la situation est sous contrôle ?

Aujourd’hui, les 29 districts du pays sont touchés. A la mi-février, seuls deux d’entre eux, Chikwawa et Nsanje, maîtrisaient l’épidémie. Ces deux districts du Sud, traditionnellement touchés, avaient bien vacciné leur population entre mai et octobre 2022 à titre préventif. Cette vaccination orale à deux doses assure une protection durant trois à cinq ans. Aujourd’hui, neuf districts ont déclaré moins de quatre cas de contamination quotidien.

Dès mars et les tout premiers cas, MSF a doublé ses équipes sur le terrain pour faire face et ouvrir des centres de traitement du choléra (CTC). On a vu l’épidémie remonter du Sud au Nord. Nous avons tout de suite fait une demande de vaccins auprès du Groupe international de coordination (ICG), qui gère les stocks mondiaux d’urgence, et on a commencé à vacciner en mai dès qu’on a reçu les premières doses, mais cela ne pouvait suffire à enrayer la flambée.

Pourquoi l’épidémie de cette année, alors que le choléra est présent dans le pays d’une manière récurrente depuis 1998, est-elle plus virulente ?

C’est une conjonction de plusieurs facteurs, certains connus, d’autres exceptionnels. La première cause de contamination est un défaut d’accès à l’eau potable, un manque d’infrastructures d’assainissement des eaux usées, voire l’absence de latrines dans les villages. Il faut savoir que le Malawi est le pays le plus pauvre du monde en paix.

Avec la crise du Covid, ici, la situation socio-économique s’est brutalement dégradée. Puis se sont ajoutées la guerre en Ukraine et l’inflation, qui a grimpé à 27 % ; la monnaie, le kwacha malawien, a été dévaluée en mai. En janvier 2022, le cyclone Ana avait inondé et beaucoup détruit. Les pauvres sont devenus encore plus pauvres. La santé se dégrade vite dans ces circonstances, encore plus dans un pays où le système de soins, déjà sous-financé, a été déstabilisé par le Covid.

Un agent de santé s’occupe d’un nouveau patient dans un centre temporaire de traitement du choléra à l’hôpital du district de Bwaila, à Lilongwe, la capitale du Malawi, le 21 février 2023. 

Le choléra, chez une personne en bonne santé, c’est comme avoir une gastro-entérite. Mais quand vous êtes en mauvaise santé, sous-nutris, le choléra peut vite devenir mortel. L’intoxication au Vibrio choleræ provoque diarrhées et vomissements, vous vous déshydratez brutalement. Voir mourir les gens du choléra est d’autant plus tragique que traiter les malades est extrêmement simple, il suffit de réhydrater par voie orale ou intraveineuse.

L’hypothèse que la multiplication d’événements climatiques extrêmes aggrave la situation a plusieurs fois été émise. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas experte climatique mais, sur le terrain, nous constatons que les pluies ont été plus abondantes, en plus du passage de deux cyclones tropicaux. Le niveau du lac Malawi n’a jamais été aussi haut. Or le choléra se développe habituellement à partir de ce grand lac, qui parcourt le pays dans toute sa longueur et que se partagent aussi la Tanzanie et le Mozambique. Ses eaux servent à nourrir avec la pêche, à boire, à irriguer les cultures, à se laver, et malheureusement aussi à se soulager. Ces conditions favorisent la réapparition du vibrion.

Pourtant, cette année, l’épidémie s’est répandue en remontant le pays par le Sud, à la frontière mozambicaine, à plus de 100 kilomètres du lac. On le voit, il faut être très prudent, car une épidémie peut se déclencher à plusieurs endroits en même temps et c’est toujours le résultat de plusieurs paramètres associés. D’ailleurs, des analyses génétiques du vibrion sont en cours pour déterminer si la bactérie présente est mutante ou pas. Ce pourrait aussi expliquer que l’épidémie est plus virulente cette année.

Comment expliquer que le choléra sévisse encore au XXIsiècle alors qu’il existe un vaccin très efficace ?

La rareté des vaccins anticholériques est le vrai sujet. La production mondiale est très insuffisante et ne repose plus que sur un fabricant, le sud-coréen EuBiologics. Nous sommes dans une gestion de la pénurie d’un vaccin jugé peu, voire pas rentable par l’écrasante majorité des laboratoires.

Quand, en janvier, MSF a voulu anticiper l’arrivée de l’épidémie qui s’annonçait, l’ICG ne pouvait pas nous approvisionner. D’une part parce que ce mécanisme ne se déclenche qu’au premier cas déclaré et, d’autre part, car la production de ce vaccin, bien qu’importante et en augmentation, est insuffisante. Enfin, il n’existe pas de procédure intermédiaire pour les campagnes préventives d’urgence, alors qu’au Malawi tous les indicateurs étaient réunis qui justifiaient de donner l’alerte.

Pour parer la pénurie de vaccins anticholériques, l’OMS a décidé en octobre 2022 de revoir sa stratégie vaccinale et de passer à une seule dose pour pouvoir immuniser deux fois plus de monde…

Nous sommes face à une concurrence des urgences. Pour les pays, qui se débattent avec peu de moyens domestiques, et entre les priorités internationales : Covid, polio, VIH, rougeole, etc.

Prenons l’exemple de la polio. Pour un seul cas détecté en février 2022 [le premier en trente ans, selon l’OMS Afrique], des millions d’enfants au Malawi, notamment, ont été vaccinés par l’OMS, car l’agence onusienne est dans une logique d’éradication de cette maladie. Même si on comprend parfaitement la démarche et qu’elle est légitime, on peut s’interroger face à la gravité que représentent pour les Malawites l’épidémie de choléra et la pénurie de vaccins anticholériques. Car si GAVI, l’organisation internationale chargée d’améliorer l’équité vaccinale, disait : « On vous achète le double de doses », les fabricants se mettraient à produire suffisamment.

Au-delà de soigner les malades et les vacciner quand l’épidémie est déjà là, notre stratégie de lutte repose donc sur la pédagogie auprès des communautés et la distribution de chlore, de savons et de seaux d’hygiène que nous menons avec l’Unicef et d’autres acteurs internationaux. Mais tous ces gens méritent d’être protégés correctement sans attendre que le pays ait les moyens d’améliorer ses infrastructures d’assainissement et d’accès à l’eau potable.

Sandrine Berthaud-Clair

Source : Le Monde